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Des maux aux mots

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Good Time

Good Time

Good Time

Joshua/Ben, Nick/Connie, deux tandems fous, deux entités complémentaires et indissociables: deux couples de cinéma. Good Time est un véritable film de frères, incontestablement, à l’intrigue discontinue et étouffante. Etouffante comme ces gros plans qui peuplent le film, gros plans flous sur des visages ensanglantés, sur la peur, sur les pleurs. C’est une toute nouvelle poétique du visage que les frères Safdie élaborent dans l’utilisation de leurs gros plans. Chaque minutieux détail est montré, chaque goutte de sang, chaque ride, chaque pore, au point que le spectateur en perd toute emprise sur l’intelligibilité et la mesure des choses. Les scènes se suivent dans un temps dilaté, dans une nuit d’étouffement stridente, la bande originale d’Oneohtrix Point Neveret la voix mélancolique du crooner Iggy Pop, déchirent les tripes, nous retrouvons la ville qui ne dort jamais, celle des quartiers souvent mal-aimés du Queens. Les champs et contre-champs sont d’une intensité rare, les plans en caméra épaule nous perdent dans les rues de cette ville sale, tous les murs semblent transpirer l’hémoglobine, l’amour des frères, l’errance dans la nuit comme dans la vie, Nick et Connie sont les deux nouveaux héros d'une tragédie sociale en marche. On ne connait rien de ces deux si ce n’est l’amour qui les rassemble. Good Time c’est aussi le film des marges, le film de ceux dont souvent on tait le nom -de l’adolescente marquée par son amour pour un dealer, aux toxicomanes, et aux couples mère/fille dérangeants-.
    Nous assistons à une scène de braquage inédite mêlant de façon antithétique tension insupportable et inaction totale, scène pivot d’une lente descente aux enfers, d’un long parcours vers une conclusion qui semble déjà se dessiner devant les yeux du spectateur.
Après un braquage amateur raté, une toilette dans l’eau des sanitaires du Domino’s Pizza d’une rue mal famée, Connie (Robert Pattinson) parvient à s’enfuir et à échapper à la police mais son frère Nick (Ben Safdie), handicapé mental, est arrêté. Dès lors Connie n’a plus qu’une seule idée en tête, libérer son frère, mais les difficultés financières le détourne de la libération sous caution: l’évasion lui semble un plan plus efficace.
Néo-thriller urbain, haletant, secouant, mêlant geôles psychiatriques, braquage de banque, fuite, drogues, hystérie. Un film des bas fonds new-yorkais, nous présentant un Queens crade, dangereux, un New-York d’une nouvelle poétique, plus proche d’un Taxi driver que d’un Manhattan. Good Time c’est aussi un film sur l’amour fraternel absolu par delà les limites morales et interdits sociaux.
    Pattinson y offre une toute nouvelle allure à sa filmographie -acteur déjà très remarqué et salué pour son rôle dans le Cosmopolis de Cronenberg ou dans The Lost City of Z de James Gray-, plus écrite, plus confidentielle, il nous surprend en anti-héros dans un scénario écrit sur mesure. Convaincant en cheveux blonds décolorés, convaincant en braqueur de banque au masque ridicule, convaincant en anti-héros aux actes aussi dérangeants que libérateurs. On se plait dans un délire presque masochiste à le voir frapper, humilier, transgresser, dans une seule quête, un seul horizon, l’amour du frère. Il tranche et rompt définitivement avec son image de « beau gosse du cinéma pré-pubère »: sa peau diaphane et scintillante de jeune vampire centenaire laisse place aux cicatrices, à un épiderme durci par la vie et victime du temps et des coups.
    Plus qu’un film, une expérience cinématographique, une expérience du temps tout d’abord dont on perd progressivement la mesure tant les Safdie semblent vouloir nous perdre dans la spirale infernale de leur univers, ils interrogent notre rapport au temps, notre rapport à la nuit. C’est un film de corps également, un film physique, charnel, presque organique. On redécouvre la beauté des corps cassés, des vies malmenées. C’est un film dont on voudrait parler que dans des termes presque sexualisés, une expérience quasi masochiste et cathartique.
Si le scénario interroge les rapports de frère, les rapports familiaux et homme/femme n’en sont pas en reste. La seule famille des deux frères semblent être une grand-mère mal-aimante, instable, ce rapport fraternel fusionnel et ce lien compliqué avec la cellule familiale nous semblerait presque une propre projection autobiographique des frères, tournée dans leur Queens natal.

Good Time nous plonge en somme dans l’urgence de la nuit, dans l’adrénaline de la vie, dans ce temps qui parfois n’en finit pas, dans les relations toxiques ou salvatrices. Good Time s’intéresse aux faubourgs, au désaffecté, aux sentiments extrêmes et parfois à une hypocrisie sincère, aux pulsions de vie, aux pulsions de mort qui nous habitent, c’est un film qui bouleverse, purge, une catharsis pure. Good Time semble une saignée nécessaire à la guérison d’un engourdissement  cinématographique parfois depuis trop longtemps installé. 


 

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